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Couverture de l’édition de poche de La guerre des métaux rares de Guillaume Pitron paru le 10/01/2018 aux éditions Les liens qui libèrent (ISBN : 979-10-209-0574-1).

Opinion

C’est à la suite de la passionnante entrevue de l’auteur sur la chaîne Youtube Thinkerview que je me suis convaincu de lire cet ouvrage, et le hasard faisant bien les choses, je suis tombé sur un exemplaire de l’édition de poche dans une boutique de livres usagés! Et je dois dire que j’ai été captivé par cette enquête très fouillée sur la géopolitique des métaux rares, dans laquelle l’auteur explique avec une grande clarté les enjeux liés à ces resources minérales tout en proposant un grand nombre de resources utiles, non seulement pour appuyer ses propos, mais aussi pour donner l’opportunité au lecteur d’aller plus loin.

Comme l’explique l’auteur au début de l’ouvrage, la caractéristique principale des métaux rares est qu’ils sont, comme leur nom l’indique, relativement rares dans la croûte terrestre (en comparaison avec des métaux comme le fer) ou du moins rare étant donné les quantités dont l’industrie à besoin. Il y a donc une part de subjectivité dans la définition même, ce qui explique que les listes de métaux rares peuvent varier d’une organisation à une autre. Les listes regroupent des métaux comme le chrome, le cesium, le lithium, qui ont des numéros atomiques relativement bas et l’entièreté du groupe des lanthanides au numéros atomiques plus élevés, communément appelé terres rares (voir la table des éléments sur Wikimedia Commons). Comme le rappel l’article de Wikipedia sur ces derniers:

Les terres rares sont un groupe de métaux aux propriétés voisines comprenant le scandium 21Sc, l’yttrium 39Y et les quinze lanthanides. […]

Leurs propriétés électromagnétiques proviennent de leur configuration électronique avec remplissage progressif de la sous-couche 4f, à l’origine du phénomène appelé contraction des lanthanides.

Les métaux rares en générale, et les terres rares en particulier, sont donc des métaux très convoités par l’industrie parce qu’ils permettent telle ou telle application et que les quantités disponibles sont relativement limitées. Si on prend l’exemple des terres rares – qui n’ont commencé à être réellement exploitées que dans les années 1970 – elles sont aujourd’hui partout, notamment dans les secteurs clés comme les alliages, les batteries, le matériel informatique, etc. Elles sont des éléments essentiels pour mener à bien “transition écologique” que nombre d’états appellent de leurs vœux. Le premier point fort du livre de Guillaume Pitron, à mon avis, est de nous démontrer qu’il est pour le moins douteux qu’une révolution verte puisse reposer sur l’utilisation tous azimuts de ces métaux dont l’exploitation fait des ravages environnementaux.

Utilisation des terres rares dans l’industrie, voir l’article disponible sur https://classe-internationale.com/2019/04/23/les-terres-rares-les-pierres-philosophales-du-xxieme-siecle-2/.

Le problème majeur avec ces métaux est leur extraction. Étant donné qu’ils sont présents en très faible quantité dans l’écorce terrestre (e.g. d’après l’auteur, 1~kg de roche contient seulement 0.8~mg de lutécium) il faut “filtrer” d’énormes quantités de roches et le processus de raffinage utilise des réactifs chimiques toxiques (e.g. acides sulfuriques et nitriques) qui, s’ils sont rejetés directement dans l’environnement, causent d’importants dommages. La Chine, principal producteur de métaux rares, en fait les frais. Notamment autour de Baotou, capitale de la Mongolie intérieure qui est devenue au cours des dernières années la capitale mondiale des terres rares. Dans cette région, les ravages environnementaux sont conséquents, la pollution y atteint des sommets, les taux de cancers explosent et la population a du mal à respirer (voir l’article de Reporterre à ce sujet).

Le second point fort de cette enquête est justement de nous expliquer pourquoi la Chine a consentie à payer un prix environmental élevé en devenant le principal producteur de métaux rares. Le lecteur comprend alors que la Chine a eu et entretient une vision à long terme cohérente pour son développement économique. Quand, en 1978, Deng Xiaoping transforme l’économie chinoise en une économie ouverte sur les marchés mondiaux, la Chine a un retard considérable. Pour rattraper ce retard, Deng Xiaoping met en place une politique en 24 caractères1 qui stimule le développement des sciences mais aussi l’acquisition de savoir au travers de co-entreprises avec des pays plus avancés (joint-ventures). Pour ce qui est des métaux rares, initialement, la Chine se contente de les produire. En jouant sur son importante main d’œuvre bon marché et la grandeur de son territoire, elle est en mesure de les produire en abondance et à des coûts très faibles. Au prix de sacrifices sur le plan environmental, la Chine est alors en mesure de diminuer la rentabilité des mines des pays concurrents, ce qui conduit inévitablement à leur fermeture. C’est ainsi que la Chine se hisse dans une situation de monopole qu’elle utilise aussi bien comme une arme diplomatique (voir l’article de Valérie Niquet sur cair.info) que pour se hisser aux étages supérieurs de la chaîne de production.

De la Chine, il ne sortira bientôt plus de poudres de terres rares, elles auront toutes été transformées en objets technologiques ultra-perfectionnés, avec tous les problèmes que cela peut poser, notamment en terme de sécurité. Mais comment cela est-il possible? Encore une fois, une vision cohérente de long terme dans un contexte où les principaux détenteurs de savoirs ont privilégiés le profit à court terme! La Chine devenue le premier pays producteur de terres rares a su “convaincre” un grand nombre d’industriels transformant les terres rares à délocaliser leur production et leur savoir dans l’empire du milieu, notamment à travers la création de joint-ventures sino-étrangères. Et c’est ainsi, que les savoirs de nombreux groupes industriels ce sont retrouvés en Chine. Cela a commencé par les premières transformations au sein de la chaîne la production d’aimants de terres rares (voir les épisodes de la Chinagate aux États-Unis mettant en jeu la vente de l’industriel Magnequench fabriquant des métaux de terres rares à la Chine, et en France, la saga Rhône-Poulenc) puis la Chine est rapidement montée en gamme, ce que l’on constate aujourd’hui avec des équipementiers comme Huawei et plus généralement avec l’ensemble des entreprise technologiques de Shenzhen. Une belle réussite pour ce grand pays auquel le court-termisme occidentale a passablement contribué.

Tl;dr: La lecture du livre de Guillaume Pitron est indispensable pour ceux qui veulent véritablement comprendre les enjeux derrière les métaux rares, notamment ceux de la transition écologique. En délocalisant la pollution liée à l’extraction de ces derniers, l’occident a offert à l’empire du milieu de nombreux savoirs industriels sur lesquels la Chine devrait prospérer pendant des décennies.

Annexes

Une petite remarque pour finir, sur l’édition de poche, il faudrait au lecteur une vision augmentée pour qu’il puisse être en mesure de lire certaines annexes. J’ai donc décidé de rassembler les annexes peu lisibles ci-dessous.


  1. L’auteur mentionne une politique en 16 caractères, mais je n’ai pas trouvé de référence parlant de 16 caractères. ↩︎